L’origine de la ville d’Abéché et ses habitants

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Le royaume du Ouaddaï, cet ensemble historique, avait pour capitale ouara puis Abéché. Limitée au nord par l’Ennedi et le Borkou, au sud par le guera et le salamat, à l’est par le Darfour, et à l’Ouest par le batha. Avant les découpages successifs, les composantes ethniques des populations ouaddaiennes sont variées, cependant, elles forment un ensemble ou la religion, les genres de vie, le passé historique, l’appartenance au sultanat du Ouaddaï, créent une unité. Elles confèrent à la région une position de véritable carrefour de races disparates.

Abéché était de 1850 jusqu’au début du 20ieme siècle, la capitale du royaume du Ouaddaï ; c’était la seule vraie ville que la colonisation française a trouvée à son arrivée dans ce qui sera plus tard le territoire du Tchad. A partir de 1909, elle devient le chef-lieu de la region du Ouaddaï, dans un nouveau cadre, celui du Territoire du Tchad, avec comme capitale Fort Lamy.

A partir du 11 août 1960, le Tchad devient indépendant, Abéché reste le chef-lieu de la préfecture du Ouaddaï qui a imputée du Biltine en 1961. En 2008, un nouveau découpage régional est intervenu : Abéché reste chef-lieu de la region du Ouaddaï, amputée de l’Est de la region actuelle du Batha, du Sila qui sera la nouvelle region composée de deux anciennes sous-préfectures du Ouaddaï.

Cette citée a beaucoup évolué depuis sa fondation, il y a 166 ans, elle est aujourd’hui la deuxième ville la plus importante du Tchad, après la capitale N’Djamena, avec plus de 120.000 habitants.

Le sens du terme Ouaddaï
Ce terme, si l’on en croit les sources orales, est utilisé entre le 17eme et le 18eme siècle, c’est-à-dire sous le règne des Sultan Yakhoub Arouss et Harote Al-sakhir 1681-1707. Plusieurs versions ont alors été avancées : la première prétend que ce fut le sultan Yakhoub Arouss qui cessa de payer l’impôt à Ahmat Boukar, le sultan du Darfour. Ce tribut annuel était payé depuis la fondation du sultanat par Abdelkerim Djameh. Raison pour laquelle certaines personnes attribuent l’origine du nom Ouaddaï à cette contrainte. Ouadda signifie envoyer. Celui qui envoie est le Ouaddaï en arabe local. Mais d’autres pensent que ce nom vient plutôt du mot abulition Ouaddu etc. Quoiqu’il en soit, le Ouaddai était aussi désigné par les voisins sous le vocable de Dar Borgou et les populations elles-mêmes se disent tout simplement Maba.

Une nouvelle capitale pour le royaume du Ouaddaï : Abéché   

De la fondation du royaume du Ouaddaï en 1635 jusqu’au milieu du 19ieme siècle, Ouara était sa première capitale. Elle était, pendant plus de 200 ans, une ville économiquement et intellectuellement très prospère. Puis, pour diverses raisons dont la baisse drastique de la nappe phréatique et de troubles politique, la decision de transporter la résidence royale ailleurs, a été prise par le sultan en exercice, Mahamat Cherif en 1848. Selon certaines sources, ce dernier qui n’est pas de mère Kodoi, a eu du mal à se faire accepter par cette tribu. Il semble, que ce dernier quitta Ouara par crainte du voisinage de la puissante tribu de Kodoi qui lui était hostile. Pour masquer le retrait, on fit savoir au peule que l’ancien château royal, hanté par de méchants esprits, était devenu inhabitable.

Pour ce faire, le Sultan qui semble-t-il, a perdu la vue, a chargé un certain nombre d’explorateurs de repérer un autre site plus propice. L’imam Al Djazouli a proposé, après beaucoup de démarches, le site actuel. C’est un site où réside la tribu Maba Kelinguen. Le conseil royal s’est réuni et a agréé son projet ; puis, les travaux de construction du nouveau palais royal d’Abéché a commencé rapidement. Le transfert vers Abéché a commencé rapidement (1850). Sur le site choisi, il y avait un petit campement Arabe (Beni Halba) dont le patriarche répondait au nom de (Abou Aché).

Ainsi, le lieu est dénommé (férik Abou aché). Devenu par contraction (Ab Aché), les autochtones prononcent (Abbachché), le colonisateur l’a orthographié Abécher puis Abéché. Une deuxième version, sur l’origine du nom de cette ville a été avancée par certains : pour ces derniers, Abbachcha serait le surnom du sultan Mahamat Chérif qui lui a été donné par son ami, Sidi Essenoussi, fondateur de la confrérie senoussiya.

Pendant les soixante premières années de son existence, Abéché était à la fois le siège d’un puissant pouvoir, un centre commercial prospère et un espace intellectuel rayonnant.

Les différents groupes ethniques qui forment la ville d’Abéché 

Au départ, Abéché était un petit férik, où sont venus s’installer dans un premier temps, les notables et leurs proches ; puis, progressivement, ce fut le tour des autres catégories de populations.

Avant la colonisation, la stratification sociale se présente comme suit : il y a quatre catégories des populations : les Hourrin (hommes libres) ; les Adjanib (dorigine étrangère) ; les Abid (esclaves) et la caste des forgerons c’est-à-dire les Haddad. Avec la colonisation et l’abolition de l’esclavage qu’elle a instauré, est née la catégorie des « Mouwalladin ».

Sur le plan ethnique, pour éviter les malentendus, il convient de préciser les vocables Ouaddaï, Ouaddaïen et Maba : on dit le Ouaddaï pour le Dar Ouaddaï, pour désigner le pays et Maba pour désigner la principale ethnie du pays.

En réalité, le terme Ouaddaïen est plus géographique qu’ethnique : Tous les Maba sont des Ouaddaïens (c’est-à-dire habitants de la région du Ouaddaï), mais tous les autres habitants de l’ancien sultanat du Ouaddaï ne sont pas des Maba.

Ainsi sur le plan ethnique, nous avons:

  • Les Maba qui sont les plus anciens et les plus nombreux qui se divisent en plusieurs tribus : les Kodoï, les Kondongo, les Kabartou, les Kachméré, les Kelingnen, les Madaba, les Malanga, les Madala et les Abissa.
  • Les apparentées aux Maba (Marfa, Kachmere, Karanga, Niabada, Mimi, Aboucharib, Tama, Toundjour, Kapka, etc.)
  • Les Arabes (dont la présence massive dans la région, est attestée depuis la fin du 13ieme siècle), se divisent en plusieurs tribus dont les principales sont : les Mahamid, les Beni Halba, les Dja’atne, les Salamat, les Ouled Rachid, les Missirie, les Ouled Zioud, les Haddad, etc.
  • Ceux qui cohabitent avec les Mabas : les Massalit, les Dadjo, les Moubi, les Bideyat, les Goranes, les Zaghawa, etc.
  • Les originaires du Soudan actuel, de la Libye actuelle et des bassins du lac Tchad et du Niger : les Djellaba, les Madjabra dits (Fizan), les Bornouans, les Haoussa, les Touareg appelés ici Kinnine et les Peuls appelés ici Fallata qui participaient au commerce transsaharien et inter-sahélien (Ouest-Est)
  • Puis, le Royaume s’agrandissait (surtout vers l’Ouest, au détriment du Baguirmi et du Bornou et vers le Sud), plus les habitants originaires de ces contrées, venaient s’ajouter aux précédents : le sultan Ali (1858-1874), qui était le successeur de Mahamat Cherif et qui était soucieux du développement socio-économique du pays, a appris qu’au Bornou, en pays Haoussa et au Baguirmi, les villes étaient modernes, construites en briques, pendant qu’à Abéché, les habitations sont en grande partie en paille. Alors, il fit venir du Bornou et du Baguirmi, un grand nombre d’artisans, des tisserands, des cordonniers, des teinturiers, des selliers, des armuriers et surtout des maçons, des charpentiers qui sont venus pour vulgariser la construction en briques et la construction carrée et rectangulaire (à la place des cases rondes).

Abéché était aussi un carrefour, une étape importante de la route du pèlerinage : les Musulmans, originaires de l’Afrique de l’Ouest qui se rendaient au pèlerinage passaient par la ville d’Abéché. Il y avait un centre d’accueil et de transit, un caravansérail ouvert par Ousman Dan Foulane en 1858. Près de 80 000 pelerins par an, passent par la cité d’Abéché. Car pour aller au Hedjaz, on n’allait pas en avion comme c’est le cas aujourd’hui, mais à pied, cela prend quelques années : on fait quelques kilomètres et on s’arrête ; on s’approvisionne, on travaille un peu, on trouve un peu d’argent pour continuer. Parfois, certains trouvent une situation favorable et s’installent définitivement. C’est le cas à Abéché des Haoussa, des Peuls, des Touareg.

Comme la photo nous l’indique, les habitations étaient en paille à part les palais du sultan, la grande mosquée et les résidences de quelques notables et commerçants qui sont construites par des architectes égyptiens et turcs.

Abéché sous l’occupation française

La colonisation française était arrivée par l’Ouest. A partir de Fort Lamy, les troupes françaises se sont dirigées vers le Nord et l’Est. Elles y ont rencontré une grande résistance militaire de la part du royaume du Ouaddaï et de la senoussiya. Le Sultan du Ouaddaï possédait une armée qui, en temps de guerre, comprenait une importante infanterie et une cavalerie.

A la tête de l’armée se trouve le Djarma, il en est le commandant en chef ; il a sous ses ordres les Aguid. Les armes les plus utilisées étaient le sabre, les sagaies, les lances et le soforok (une sorte de boomerang, un bâton de jet) ; c’est l’arme la plus redoutable utilisée par les armées du Ouaddaï. Les armes à feu ne sont arrivées au Ouaddaï qu’a la fin du 19ieme siècle, par l’intermédiaire des Turcs. Pour parcourir les 800 Km (de Fort Lamy a Abéché), les troupes coloniales ont mis 9 ans de guerre pour que la capitale du Ouaddaï soit prise le Mercredi 2 Juin 1909.

Le pouvoir coloniale a nommé un autre Sultan a la place de Doud Mourrah qui a quitté Abéché, le jour de la prise de sa capitale par les troupes françaises, pour continuer la résistance. Le nouveau Sultan se nomme Adoum Acyl, celui-là même qui était candidat malheureux pour ce trône, près d’une dizaine d’années auparavant, et, après avoir fui le Ouaddaï, a accompagné les Français dans leur conquête du Ouaddaï. Il a été intronisé le 23 Août 1909. Mais Acyl n’est pas resté longtemps en poste. Il semble qu’il n’a pas su assumer correctement la tâche qui lui été assignée par les Français.

Après la colonisation, il y eut plusieurs vagues de migrations massives vers l’Est :                                La première vague a eu lieu en 1909, après la défaite de l’armée du Dar Ouaddaï face à l’armée française, qui a abouti à la chute de la ville d’abéché. La rupture de l’équilibre économique qui a suivi la pénétration coloniale provoqua une crise numéraire avec la libération des esclaves de case et une migration massive vers le Soudan. La deuxième vague surviendra en 1913-17 par suite d’une grande famine dénommée Am sadour (qui attaque la poitrine) a provoqué des dizaines de milliers de morts au Ouaddaï et un départ massif vers le Soudan. Ce fait a coïncidé avec le début de la première guerre mondiale pour laquelle on recrutait des supplétifs de force, pour combattre aux côtés de la France.

Entre temps, la reddition de Doud Mourrah a eu lieu le 27 octobre 1911 à Abéché. Ainsi, le pouvoir coloniale a carrément supprimé le Sultanat en 1912. Le Sultanat n’a été rétabli que vingt-trois ans plus tard (le 15 Octobre 1935), avec Mahamat Ourada 1. On lui a construit un nouveau palais a Djatiniye ; mais il a refusé de s’y installer et ses successeurs on fait de même. Ce palais abandonné a servi à un moment donné d’école primaire, puis tombé en ruines.

La première voiture qui a arpenté les rues d’Abéché en 1923

Le massacre au coupe-coupe

Les français continuèrent à durcir leurs positions et à brimer tout tentative d’indépendance, réelle ou supposée. Même le sultan du Dar sila, Mohamed Bakhit, jugé comme un grand admirateur de la civilisation français, fut envoyé en 1916 en exil, sans égard pour son âge avance et sa faiblesse physique, il arrive à Lai si épuisé qu’il mourut le 29 décembre 1916. Il avait pourtant collaboré de son mieux avec les occupants, mais ne reçut aucune preuve de reconnaissance de leur part.

A la suite de l’occupation française de la ville d’Abéché et ses environs en 1909, des énormes massacres ont été perpétrés en 1917. Connu sous le nom ¨massacre au coupe-coupe¨.
Le commandant Gérard, un homme venu de France en 1916 pour raisons disciplinaires, donna l’ordre d’assassiner à l’aube, sous un prétexte fallacieux, tous les hommes qui se trouvaient dans le TATA (ancien palais), ainsi que tous les ¨ouléma¨ (responsables religieux) du quartier Chig-El-Fekhara et quatre cent (400) hommes environ furent ainsi décapités sur l’ordre de ce criminel de guerre. Parmi ceux-ci l’Aguid Dokom, le Faki Azolo, l’imam Adam, le faki sambo Djameh, le faki Abderahmane et le faki Abdelhaq B. Abdel Awali, tous des érudits religieux, ¨la fleur de l’élite intellectuelle du ouaddai ¨. De nombreux dignitaires et des membres de la famille royale furent ensuite déportés au sud. Pire le commandant Gérard n’a jamais été jugé pour ses crimes. Il a simplement été mis à la retraite anticipée.

Cet évènement qui constitue l’une des pages sombre de l’histoire du pays et qui témoigne aussi la période coloniale de la France, est considéré au sein des peuples africaines comme une atrocité des croisades. Ce massacre dans lequel beaucoup de savants ont été tués est aussi important pour l’histoire du pays mais aussi celle de l’Afrique.
Abéché était, en cette période, la seule ville digne de ce nom de toute l’Afrique Equatorial quand les Français sont arrivés. C’est au ouaddai, véritable empire multiethnique au 19ième siècle, que se concentraient toutes les richesses du pays et les deux pistes les plus importantes de l’axe nord-sud et l’axe est-ouest passaient par Abéché, centre du commerce et de communication au sud du Sahara.

Les cultures et les traditions abéchoises

Sur le plan culturel, Abéché se distingue aussi par certaines spécificités. Il y a d’abord les danses. Elle se déroulent en plein air, lors des fêtes, des mariages, des circoncisions ou d’autres évènements heureux. Les hommes et les femmes surtout les jeunes, dansent ensemble. Les danses les plus pratiquées sont les danses Maba, dites (Gangang Ouaddaï). Il y a aussi une danse populaire, le (Baywale) qui est animee sans instrument de musique : le groupe des filles tape des mains et reprend le tempo chanté par l’une d’elles ; le groupe des garçons se place en face, attendant qu’une fille se détaché du groupe pour venir choisir par un signe, un cavalier qui, après avoir esquissé quelques pas de danse en « damant » des pieds, choisit par un signe, une nouvelle fille qui reprend le processus et ainsi de suite, la danse continue.

Traditionnellement, les habitants du Dar Ouaddaï présentent les apparences suivantes : l’homme a toujours le crane raser ; il garde un soupçon de moustache et une barbe circulaire courte. Il est habillé d’un « Seroual » qui s’arrête au-dessous du genou. En cas de cérémonie, il porte le « Gnouk doulouf », un Seroual qui descend jusqu’à la cheville. La tête est souvent couverte d’une calotte en coton « Taguie » blanche chez les hommes d’âge mûr et verte ou orange chez les jeunes. La chaussure est fabriquée à partir du cuir, c’est souvent des sandales dits « Amtchang ». La chaussure fermée est elle aussi fabriqué à partir du cuir.

Abéché continue toujours d’être la ville cosmopolite qu’elle fut dans pendant la période précoloniale. Connue comme terre d’hospitalité et de tolérance cette ville est un véritable carrefour où se croisent différents peuples et cultures venant de tous les coins du Tchad et aussi de la sous-région. Aujourd’hui, Abéché renferme en elle un potentiel incommensurable. Celui d’être un exemple de savoir vivre et aussi un bon point de départ pour la (re)construction d’une unité nationale du Tchad.

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Yazar Hakkında

Hassan Hamit Abderaman Haggar, 1990 yıllında Encemine-Çad’da doğdu, ilköğretimi ve liseyi Encemine’de tamamladı. Bilecik Şeyh Edebali Üniversitesi Siyaset Bilimi ve Kamu Yönetimi bölümünden 2019 yılında mezun oldu. 2019-2020 eğitim-öğretim yılında İstanbul Medeniyet Üniversitesi Uluslararası İlişkiler Anabilim dalında yüksek lisans eğitimine başlamıştır. Arapça, Fransızca ve Türkçeyi ileri seviyede bilmektedir.

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