ACAMAS et TIKA : deux bras séculiers de la coopération turco-camerounaise

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Historique et fondements

La relation entre la Turquie et l’Afrique trouvent ses fondements dans les rapports ottomans avec l’Afrique entre le XVIe et le XXe siècles. Sur les traces des travaux du spécialiste de l’Afrique le Professeur Ahmet Kavas et du diplomate turc Numan Hazar, on se rend compte que l’Afrique du Nord – notamment l’Egypte, l’Algérie, la Tunisie, la Libye, la Province d’Abyssinie et le Soudan – et les empires éloignés de l’Afrique subsaharienne, à l’instar du Zanzibar, de l’Afrique du Sud et du Kanem-Bornou,  avaient bien des regards tournés vers la Sublime Porte pendant une bonne période de leur histoire commune. Tandis que l’Afrique du Nord était constituée des provinces ottomanes, en Afrique Centrale et Australe les Ottomans avaient plutôt tissé des relations d’amitié. Entre la naissance de la République en 1923 et la mise en œuvre du plan d’action d’ouverture vers le continent africain adopté en 1998, la Turquie n’avait pas vraiment développé sa politique africaine, compte tenu des conjonctures internationales des différentes époques. Dès lors, les relations turco-africaines se sont accélérées à tous les niveaux dont le summum fut les années 2005 promulguée l’ « Année de l’Afrique » et 2008 celle de la tenue du Sommet de Coopération entre la Turquie et l’Afrique à Istanbul.

La présence turque en Afrique s’évalue en termes d’offensive diplomatique et surtout d’actions humanitaires à travers l’ouverture des ambassades. Or, il y a un travail de fonds mené par « le bas » qui structure la relation turco-africaine se situant même au-devant de la scène diplomatique à travers les circuits de coopération internationale décentralisée. C’est ce qu’illustre le bel exemple du Cameroun à travers ACAMAS (Kamerun Yardımlaşma ve Dayanışma Derneği) et TIKA (Türk İşbirliği ve Koordinasyon Ajansı), le premier signifiant Association Camerounaise pour l’Aide et la Solidarité et le second l’Agence Turque de Coopération et de Coordination.

Créée en 2009 par un groupe de jeunes musulmans camerounais, l’ACAMAS avait l’objectif initial l’humanitaire religieux en capitalisant la zakat pour les pauvres. Très tôt, elle trouve des partenaires extérieurs à savoir le commerçant turc et la Fondation Aziz Mahmud Hüdayi de Turquie. Il est évident de comprendre que l’angle de cette coopération comporte dès la base le financement étranger à l’ACAMAS à travers les œuvres de bienfaisance du commerçant turc, qui s’appuie, à cet effet, de cette union pour assurer sa pénétration et sa visibilité au Cameroun. De l’autre côté, la Fondation Aziz Mahmud Hüdayi, présente dans plus 40 pays dans le monde dont 16 en Afrique, profite de cette coopération pour renforcer ses actions de « lutte contre la pauvreté et l’ignorance » au Cameroun.

L’action citoyenne de ces jeunes musulmans camerounais (enseignant, étudiants et fonctionnaires) encourage donc l’Etat du Cameroun (le Ministère de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire) à émettre la transmission de l’Accord de coopération entre le Gouvernement du Cameroun et la Fondation Aziz Mahmud Hüdayi. Dans ce cadre, ACAMAS jouit légalement le pouvoir de « mettre en œuvre effective le programme de développement et de fourniture des services sociaux de base au Cameroun ». On est ainsi au cœur d’une coopération internationale décentralisée qui sort du cadre traditionnel d’appui aux collectivités territoriales décentralisées dont les maries. L’alliance scellée, ACAMAS réoriente carrément ses actions en devenant le catalyseur des aides socio-religieuses en provenance des Organisations Non-Gouvernementales de Turquie. Elle a dû même changer son logo initial, représentant le Cameroun au fond d’un planisphère qui symboliserait la quête de partenaires dans le monde, en un logo incluant visiblement les couleurs des drapeaux turc et camerounais.

Quant à la TIKA, elle a été créée dans le contexte de la dissolution de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS) où il était alors urgent de soutenir les Etats nouvellement indépendants du Caucase et de l’Asie centrale. A côté de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International (FMI), dès décembre 1991 la Turquie s’est engagée activement dans son octroi d’aide au développement à travers les projets (social, culturel et économique) de long terme. L’enjeu pour la Turquie est tout simplement de « sauver » la mémoire sociale, la culture et le passé commun qu’elle a eu avec ces Etats dans le cadre de la brillante civilisation et de la grande puissance de l’Empire Ottoman (1453-1923). Après l’an 2000, les projets de TİKA s’étendent de l’infrastructure technique à l’augmentation de la capacité de l’entreprise : la tâche d’être un mécanisme de coopération pour les institutions de l’Etat et les organisations, les universités, les organismes à but non-lucratif et le secteur privé. On voit clairement que TIKA est désormais devenue un acteur-clé dans la coopération au développement qui est accélérée par le Sommet du Millénaire de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et les effets de la globalisation. D’ailleurs, ses activités réalisées dans le monde y compris en Afrique (15 bureaux sur le continent) ont atteint le montant  de 8 milliards 120 millions de dollars US en 2017, contre 85 millions de dollars US en 2002. C’est pourquoi la Turquie est devenue le premier fournisseur d’aide humanitaire au monde.

Aide au développement des populations

Présent au Cameroun depuis 2014, TIKA sert non seulement de « plateforme de dialogue entre les secteurs privés des pays de l’Afrique Centrale et la Turquie », mais surtout elle permet « la finalisation de plusieurs accords de coopération dans les domaines du commerce préférentiel, de la promotion et la protection réciproque des investissements, de la prévention de l’évasion fiscale, entre autres ». Cette structure étatique, en servant de levier important d’actions de politique active à l’extérieur, est devenue un intermédiaire-clé de mise en œuvre de la politique étrangère turque. Au Cameroun, TIKA a réalisé des nombreux projets qui sont directement bénéfiques aux populations : aides et infrastructures éducatives ; centres multimédias aux universités de Bamenda et de Yaoundé ; formation d’apiculture moderne aux producteurs de miel ; soutien en papeterie aux enfants atteints du virus du SIDA ; visite en Turquie du 15 au 22 avril 2015 des Camerounais pour profiter de l’expérience et du savoir turc en ce qui concerne l’exportation et les normes de qualité des produits agricoles et de déterminer de nouveaux domaines de coopération au sujet du cacao et du café qui sont les principaux produits d’exportation du Cameroun ; soutien en équipements agricoles à la mairie de Foumban ; restauration du Foyer pour Femmes de Yaoundé qui sert des cours d’alphabétisation, des formations professionnelles en plusieurs domaines et dans lequel on assure un traitement et soutien psychologique ; soutien aux activités de la semaine des enfants ; fourniture d’aides alimentaires au camp pour réfugiés de la Région de l’Extrême-Nord à 2.000 familles contraintes de fuir leur pays (Nigéria-Tchad)  et de vivre en raison des menaces du Boko Haram ; rénovation de la Mosquée Centrale de Yaoundé, construction des puits pour accès à l’eau potable pour environ 150.000 Camerounais dans diverses localités, etc.

Il est visible aussi les réalisations d’ACAMAS au Cameroun en tant que structure de mise en œuvre des actions humanitaires et de charité provenant généralement des acteurs privés de la Turquie. Grâce à son siège social de Yaoundé et son antenne régionale de Maroua, ACAMAS laisse des empruntes indélébiles de la Turquie au sein de la population camerounaise se récapitulant dans les activités culturelles (bibliothèque et lecture), l’école coranique, la broderie, la couture, l’informatique (don des ordinateurs et finition d’un centre de formation), la restauration et l’hygiène alimentaire, la prise en charge des orphelins et enfants de la rue, la construction de plus de 150 forages et l’assainissement de l’eau, la construction et la restauration des écoles d’enseignement général et technique comme le complexe scolaire de Maroua et l’école franco-arabe de la Briqueterie à Yaoundé, la réhabilitation d’environ 390 orphelinats, le règlement des factures d’hospitalisation et ordonnances médicales aux indigents à l’Hôpital Central de Yaoundé et à Buea, etc.

Enjeux et défis

ACAMAS et TIKA présentent deux cheminements et pourtant une même vision de coopération internationale décentralisée entre la Turquie et le Cameroun. En se focalisant sur l’aide bilatérale indirecte, ces structures jouent le rôle d’une plate tournante de la diplomatie turque au Cameroun et dans la Sous-région Afrique Centrale. On peut même dire que l’ACAMAS a facilité la pénétration diplomatique de la Turquie dont la visite du Président Abdullah Gül en mars 2010 a permis l’ouverture de l’ambassade de Turquie à Yaoundé. Le bureau de TIKA à Yaoundé est un élément-pivot de la diplomatie turque au Cameroun, car des nombreuses activités s’y déroulent en rapport avec la Turquie. D’ailleurs, tous les boursiers Camerounais du Gouvernement de Turquie s’y rendent chaque année pour faire les entretiens avec les chargés de mission turcs. Tout laisse à penser que les fondations pieuses (vakıflar) – disposant des biens et richesses (vakıf mülkü) appartenant ni à l’Etat ni aux individus privés – ont servi depuis l’Empire ottoman de base solide à l’aide au développement de la Turquie en Afrique avec beaucoup d’aisance et de nette croissance. Citant le célèbre poète Yunus Emre sur l’humanisme turco-ottoman, le Président de la TIKA Dr. Serdar Çam reprend ceci en 2012 : « Nous avons ressuscité, nous sommes devenus des sources/ Nous avons tressauté, nous sommes devenus des rivières/ Nous avons enfin rejoint la mer, Dieu merci ».

En encrant la présence turque au Cameroun par le « bas » via une présence majeure dans le secteur humanitaire et les réseaux éducatifs du continent entre autres, ces structures de coopération participent à bien des égards au développement rapide des échanges commerciaux et à la construction d’une légitimité politique par le biais d’une diplomatie active. Ces vecteurs d’influence de la Turquie sont des facilitateurs de partenariat entre hommes d’affaires camerounais et turcs (forums, échanges d’expérience, etc.). Par ailleurs, suivant ces circuits de coopération décentralisée, il y a la dynamisation de la relation turco-camerounaise qui se matérialise aussi par la caravane médicale turque au moyen de laquelle les pauvres et les vulnérables sont soutenus gratuitement en termes de soins de santé et de distribution des médicaments.

Sous l’angle religieux, il y a en arrière-plan de cette coopération, la promotion de l’Islam sous le prisme de la mémorisation du Saint Coran, de l’enseignement islamique, de l’aumône, des diners de rupture du jeûne du mois de Ramadan, de l’immolation des bœufs par millier à l’occasion des fêtes de Tabaski, de la construction des mosquées, etc. La stratégie turque, contrairement à celle des Saoudiens, prône l’acceptation des pratiques locales de l’Islam sans « imposer » le courant répandu en Turquie qu’est le sunnisme de l’école juridique hanéfite. Les bénéficiaires de cette « offre religieuse » se confortent bien dans leur pratique quotidienne de l’Islam tout en épousant les standards modernes provenant de la Turquie. Cette conquête « religieuse » de la Turquie paraît être plus productive à long terme que les démarches entreprises par l’Arabie Saoudite qui confine son aide strictement dans l’enseignement théologique de l’Islam.

Toutefois, de nombreux éléments restent à améliorer pour que la coopération turco-camerounaise se rende plus dense et plus productive. La TIKA réalise globalement ses projets en Afrique en s’appuyant sur des associations et des ONG locales qui sont généralement des initiateurs des canevas d’action sur le terrain. Or, au Cameroun il y a un manque de dynamisme de ces types de structure catalyseur d’aide au développement. Aussi remarque-t-on que certaines réalisations d’envergure de TIKA en Afrique mérite d’être implémentées au Cameroun dont les besoins sont si urgents : ce sont les cas de l’Internat pour Filles/Garçons et le Parc de l’Amitié réalisés au Niger ; l’Hôpital Recep Tayyip Erdoğan en Somalie qui est, au regard de la technologie et de la capacité, le plus moderne de l’Afrique de l’Est ; le transfert de connaissances et d’expériences de la Turquie sur le « renforcement du rôle des hommes de foi dans la lutte contre la radicalisation » pour le cas du Kenya en 2015 en collaboration avec l’autorité des Affaires Religieuses (Diyanet) ; la Coopération en Formation avec les Organisations de la Sûreté des pays Africains comme en Gambie, etc. En réalité, le Cameroun a plus que jamais besoin d’un fort appui en termes d’assistance technique et matérielle pour faire face aux menaces terroristes et aux insécurités transfrontalières (le terrorisme de Boko Haram à l’Extrême-Nord, les milices centrafricaines à l’Est et les violences des « sécessionnistes » au Nord-Ouest.

Le dernier point qui mérite d’être soutenu dans cette coopération serait celui de l’encadrement et de l’accompagnement professionnels des étudiants/diplômés Camerounais des bourses du Gouvernement de Turquie afin qu’ils puissent servir de véritables acteurs de liaison et de coopération tous azimuts entre la Turquie et le Cameroun. Ainsi, de deux côtés du partenariat, on pourra aisément « traverser la frontière, Construire des amitiés ».

SOURCES

Ahmet Kavas (2017). Osmanlı-Afrika İlişkileri. 3. Baskı. İstanbul : Kitabevi.

İhsan Çomak (2011). « Türkiye’nin Afrika Politikası ve Sağlık Sektöründe Çalışan Türk STK’ların TİKA’nın Desteğinde Afrika’da Yürüttüğü Faaliyetlerin  Bu Politikaya Etkisi ». AVRASYA ETÜDLERİ 40/2011-2 (201-222). Ankara : T.C. Türk İşbirliği ve Koordinasyon İdaresi Başkanlığı.

Journal du Cameroun.com. « La Turquie ouvre une représentation de la Tika à Yaoundé ». https://www.journalducameroun.com/la-turquie-ouvre-une-representation-de-la-tika-a-yaounde/, consulté le 28 février 2019.

Numan Nazar, http://turkeyafricanetwork.org/la-politique-africaine-de-la-turquie-numan-hazar/, consulté le 11 novembre 2018.

Oloumane, P. et Oumarou Sanda (2012). « La coopération entre la Turquie et le Cameroun : le cas d’ACAMAS dans l’Extrême-Nord de 1998 à 2012 ». Mémoire de Diplôme de Professeur de l’Enseignement Secondaire Deuxième Grade (DIPES II) en Histoire. Ecole Normale Supérieure de Maroua.

Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP). « Fondements des Politiques Africaines des Émergents  (Brésil, Inde, Turquie et Afrique du Sud) ». Note N°11 25 septembre 2014. Bruxelles : GRIP. www.grip.org, consulté en février 2019.

http://hudayivakfi.org/en/, consulté en février 2019.

http://www.tika.gov.tr/en, consulté en février 2019.

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Yazar Hakkında

Doctorant en Histoire à l’Institut des Sciences Sociales de l’Université de Sakarya.

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